Dominique Bucheton : les gestes professionnels - Circonscription de Montivilliers

Dominique Bucheton : les gestes professionnels

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Un entretien entre Dominique Bucheton et Jean-Michel Zakhartchouk

Le choix que l’enseignant fait sur l’instant, le choix du « bon geste » au « bon moment », est-il plus important que le choix d’un modèle didactique ou pédagogique ?
Les macrodécisions générées par l’immédiateté de ce qui se passe dans la classe ne peuvent être dissociées des « logiques profondes ». Celles-ci renvoient aux modèles didactiques plus ou moins conscients, aux conceptions de l’apprentissage, à celles du langage pour apprendre. Le choix du bon geste n’est pas une affaire de technicité, mais traduit en actes une culture. Celle-ci donne forme à l’action, soutient l’invention et lui donne cohérence.

La notion d’ajustement, centrale dans votre travail, n’apparaît pas dans le référentiel de compétence utilisé pour la formation des enseignants. Comment expliquer cette absence ?
Les référentiels ne disent rien de l’activité réelle d’un enseignant en prise chaque jour avec des classes, des élèves différents, des contenus qui évoluent constamment, dans des établissements eux aussi marqués par le sceau de la diversité. Les ajustements relèvent de multiples registres à recombiner constamment : celui des programmes, des possibilités cognitives ou langagières des élèves, de leur envie d’apprendre, des instruments pédagogiques à disposition, celui de l’espace, du temps, de la propre fatigue, des propres connaissances de l’enseignant, etc. Agir dans la classe avec efficience, c’est optimiser l’ensemble de ces registres. On n’y parvient certainement pas ni du premier coup ni à tous les coups ! Ces ajustements demandent une professionnalité réfléchie, aboutie. Mais il est clair que cette compétence à observer et entendre l’autre, à faire preuve d’empathie pour agir avec lui n’existe qu’en référence à des valeurs, à un projet pour l’élève, une visée démocratique. L’ajustement pendant la leçon, c’est aussi la deuxième chance offerte à l’élève dans le déroulement même de la classe.
À propos de la formation des enseignants, je tiens à dire qu’au vu de nos connaissances scientifiques sur l’apprentissage et l’enseignement, on peut affirmer avec vigueur qu’un projet de mastérisation qui voudrait dissocier une connaissance et une réflexion sur les objets didactiques des conditions psychologiques, humaines, professionnelles, institutionnelles de leur apprentissage et enseignabilité nous ramènerait très en arrière dans la préhistoire de la formation des maîtres.

Vous mettez en avant une catégorie de gestes plus ou moins mobilisés par les enseignants et qui selon vous « fait la différence », vous nommez ces gestes « gestes de tissage ». De quoi s’agit-il ?
La métaphore du tissage renvoie à l’idée que le savoir se construit d’abord dans le « déjà là » : le substrat de la culture, de l’expérience de chacun, qu’elle soit scolaire, familiale ou autre. Mais elle insiste sur la dynamique spécifique du savoir en situation scolaire, faite d’une multitude de tâches et d’activités, qui se succèdent à grande vitesse sans que les élèves voient le but cognitif à atteindre. Les microgestes de tissage de l’enseignant permettent de construire le sens de la situation : ce qu’on a appris, ce qu’on cherche à comprendre ou à faire, pourquoi, comment ? Si on trouve ces gestes de reprises parfois en début de cours, on constate qu’ils disparaissent souvent entre les tâches comme si la succession de celles-ci suffisait à en construire le sens. Ils sont quasi oubliés en fin de cours au moment où il faut faire l’ourlet pour que l’ouvrage ne se délite pas. Ces gestes de tissage sont essentiels pour les élèves « décrocheurs », ou pour les élèves « suiveurs passifs » qui « font » consciencieusement les tâches sans en comprendre la finalité.

Extrait du site des Cahiers pédagogiques : Voir en ligne

Des ouvrages de Dominique Bucheton sur les gestes professionnels :
 Le développement des gestes professionnels dans l’enseignement du français : un défi pour la recherche et la formation..., Dominique Bucheton, Olivier Dezutter, Lisa-Marie Brunet, Catherine Dupuy, De Boeck, 2008
 L’agir enseignant : des gestes professionnels ajustés, dir. Dominique Bucheton, Octarès Editions, Toulouse, 2009.